Qui est Thêu, qui nous propose ce journal de bord ?
Avec Thêu, nous nous connaissons depuis 2012. Elle était alors étudiante au département de français de l’Université nationale de Hanoi. Originaire de la campagne, pauvre, elle menait ses études avec détermination pour devenir un jour professeur de français dans son pays. Par deux fois, nous lui avons remis une bourse ; elle a reçu plusieurs prix à nos Concours « Visions du Vietnam », en particulier en 2016, pour son œuvre écrite « La vie à la campagne ». A la rentrée 2016, elle a pu venir en France mener des projets de recherche en Master à Paris 13, puis Paris 7.
Nous connaissons ses conditions de vie ici, elle doit travailler pour payer ses frais d’inscription, son loyer, … et nous l’aidons avec des bourses Coup de pouce. Avec elle, nous sommes dans l’échange ; c’est maintenant une jeune femme engagée à nos côtés, qui contribue activement à nos actions. A la mi-mars 2020, ne pouvant plus étudier, ni travailler à Paris, elle décide de rentrer provisoirement au Vietnam. Et soucieuse de poursuivre les échanges avec nous, elle rédige et nous envoie son « petit journal de quatorzaine ».
Jour 0 : à l’aéroport CDG – le 17 mars 2020
Plusieurs personnes me demandent pourquoi je décide de rentrer au Vietnam dans la pandémie? Elles comprennent que à ce moment, la meilleure solution pour empêcher la propagation de l’épidémie est de rester chez eux. Mais étant une étudiante salariée , c’est le bon moment pour rentrer et étant une communiste, c’est le fait d’être soigné au cas où je suis contaminée. Pourquoi je parle de l’étudiant salarié ? Je travaille dans un restaurant de fast-food au centre commercial Italie 2, par arrête, il a été fermé le dimanche 15 mars.
C’est-à-dire que je suis au chômage. En même temps, je suis étudiante en Linguistique Informatique à l’université de Paris Diderot (désormais Université de Paris), toutes les écoles sont fermées à partir de lundi 16 mars, je suis privée de l’école. Je comptais de rentrer au Vietnam pendant un mois et demi de mes vacances d’été et je serai de retour à Paris en juillet pour trouver un job d’été. Pourquoi en Juin? Parce que c’est la basse saison de tourisme , les billets d’avion ne coûtent pas chers. Si maintenant je ne rentre pas, c’est à dire je serai au chômage jusqu’à juillet (épidémie + retour au Vietnam). Quant à étudiant autofinancement, le fait de ne pas travailler pendant 4 mois signifie qu’on n’a pas l’argent pour payer les frais de séjour. Pourquoi je parle des pays communistes ? Parce qu’on n’a pas vraiment le droit de liberté absolue. Tout ce qu’on fait est contrôlé par l’état. Même quand on ne veut pas faire, on est forcé de le faire. En France, l’état ne peut pas nous forcer de mettre en quarantaine quand on n’a aucun symptôme de virus. Mais il me semble que c’est la meilleure solution pour éviter la propagation dans la communauté vu le nombre de cas contaminés , je tire cette solution.
J’ai décidé de prendre mes billets en même temps que Macron confirme le confinement total et la fermeture frontière. J’ai des insomnies la veille car je ne sais pas si mon vol va être annulé ou pas. J’ai paniqué quand ma copine chinoise m’a appelé en pleurant car son vol a été annulé et il y aura aucun vol entre la Chine et la France. Un seul vol possible est avec la correspondance au Vietnam, mais le Vietnam a refusé d’exemption de visa pour toute nationalité. Il va rapatrier seulement les Vietnamiens sur son territoire.
J’ai peur que ce sera mon cas. Je n’arrive pas à trouver les infos de mon vol sur le site de
Vietnamairlines, donc je suis allée à l’aéroport dès 6h du matin pour voir ce qui va
m’attendre là bas. Heureusement la chance 🍀 est omniprésente. Quand j’écris ça , je suis dans l’avion, il me reste que 2 heures pour l’atterrissage. Je n’arrive pas à dormir car j’ai hâte de voir mon Vietnam même si je ne pourrai pas rentrer chez moi toute de suite car la mise en quarantaine est obligée pour tous les voyageurs qui partent de l’Europe – le deuxième foyer de contagion de virus. Cela prouve que notre liberté n’existe pas. Je n’arrive jamais à imaginer ce que m’attend dans le centre de quarantaine. Je n’ai ni d’argent ni sim carte. Je ne pourrai pas communiquer mon arrivée à la famille , je ne sais pas encore comment je pourrai rentrer du centre de quarantaine après le quatorzaine.??????????????



Jour 1 : Premier jour dans le centre de quarantaine – le 18 mars 2020
Je suis arrivée à l’aéroport Noi Bai le 18 mars vers 6 heures du matin. Avant d’arriver à l’aéroport, on doit remplir le formulaire sur le bilan de santé (il faut cocher sur oui/non sur les symptômes du virus). Quand on est arrivé, il faut faire une longue queue pour donner le passeport aux autorités. Ils vont le rendre seulement quand on est sorti du centre de quarantaine. Et puis, on doit faire le dépistage de virus sur place, cela prend seulement quelques minutes mais le temps d’attente dure environ deux heures.
Maintenant il est midi. Je n’ai rien mangé jusqu’à maintenant même si à l’aéroport il donne à manger mais en raison d’hygiène, je n’ai pas touché. Les portions sont posées sur la table, les gens qui peuvent le toucher librement et il y avait aussi des gens qui ont mis les plats utilisés sur table. Il y avait deux grands bidons de l’eau avec un pile de gobelets à côté mais le problème est que les gens qui peuvent les toucher. Il n’y avait pas un “serveur” qui diffuse les plats avec les gants. Mais je peux comprendre les difficultés des employés ici, car le nombre de rapatriés sont nombreux, ils doivent travailler sans arrêt toute la journée et ils doivent aussi avoir les contacts avec des porteurs du virus mais ils sont toujours prêts à sacrifier pour leur travail, pour leurs citoyens et pour leur amour du pays. Je suis conduite à l’école militaire de la province Hung Yen à 40km de Hanoï vers 17heures.


Là-bas, on doit mesurer la température frontale avant de se déplacer dans les chambres partagées avec 4, 8, 12 personnes. Cela dépend du nombre de mètres carrés et le nombre de lits mezzanines. Quand je suis arrivée à ma chambre, j’étais déçue car elle est sale et il y avait plein de moustiques. Il y avait des salles de bain et toilettes partagées avec 6 autres chambres sans eau chaude. Elles sont super sales et jaunis. Je voulais sortir tout de suite du centre de quarantaine.
Jour 2 : la vie change quand on se change – le 19 mars 2020
Quand on a bien rangé nos affaires et bien reposé après un long trajet, on a maintenant le temps pour faire le ménage. Les soldats qui travaillent ici sont venus nous aider à nettoyer bien les salles de bain et les toilettes. Ils ont installés aussi les distributeurs de l’eau chaude pour nous. Les brosses à dents, les dentifrices, vitamines c, la lessive, les masques et les gels mains… sont fournis. Ils nous demandent si il nous manque quelques choses, ilsvont faire d’efforts à répondre à nos besoins.
Hung Yen n’est pas loin de chez moi, ma mère m’a rendu visite le lendemain de mon arrivée dans le centre de quarantaine. Elle m’a ramené les nécessaires pour la vie quotidienne et aussi quelques plats typiques vietnamiens que je n’ai pas mangé depuis longtemps. On se voit de loin, je dois garder la distance avec elle car je ne peux pas la contaminer. Elle est fragile et vulnérable. Le fait qu’on ne peut pas faire la bise ou faire des câlins me rend triste.
Jour 3 – 5 : On profite la vie mange – chante – dormi

Si en France, on s’habitue à métro – boulot – dodo, ici on mange – chante et dort. La vie est paisible. J’ai plus de temps pour bien réfléchir à ce que j’ai fait et ce que je vais faire. Dans ma chambre, il y a 4 personnes. Deux autres jeunes filles et moi viennent de la France et une autre est stagiaire en Belgique. On a le décalage horaire. Notre nouvelle journée commence à midi (6h du matin l’heure de Paris) et finit vers 4 heures du matin (22h heure de Paris). Le jour et la nuit sont totalement inversés.
On fait mesurer la température deux fois par jour. Les soignantes sont en combinaison de protection avec les gants, les masques et les lunettes de protection. Elles sont toujours gentilles avec nous et nous font rappel toujours à bien nettoyer la chambre, à ranger les poubelles et à prendre souvent les vitamines C. Les repas sont faits par les soldats et c’est eux qui livrent chez nous.
On est en confinement donc on n’a pas le droit de sortir du centre, si on a besoin de quelques choses, on peut demander aux soldats pour nous aider à faire des achats. On fait aussi du sport tous les après-midi. Il y a les sports individuels et aussi les sports en équipe. Mais tout le monde doit porter un masque pour nous protéger et ainsi protéger la vie des autres.
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