Claude Lorin, professeur de psychologie clinique et pathologique à l’université de Reims, nous invite à lire et découvrir Kim Thuy. Il exprime dans cet article toute la sensibilité de l’écrivaine et la nécessité de plonger au cœur de ses récits.

Lisons Kim THUY !
Claude Lorin
En cette période socialement mouvementée qui est la nôtre, il me semble intéressant de saisir au bond un peu de la vitalité fougueuse et des fragments de bonheur que nous livre l’écrivaine vietnamo-québécoise Kim THUY .

Des récits épiques comme « Ru » évoquant le parcours douloureux d’une exilée, il y en a eu, certes, mais l’écriture de Kim Thuy est surprenante d’évocations, de paradoxes, de souvenirs et de silences issus d’une bouche déchirée de cris et le résultat est poétiquement assez exceptionnel.
« Je t’offre la vie que je n’ai pas vécue, écrit-elle.
Le rêve dont je ne peux que rêver, une âme que j’ai laissée vide pendant des nuits d’attente. Je porte en offrande le poème que je n’ai pas écrit, la douleur vers laquelle je me tends, la couleur du nuage que je n’ai pas connue, les désirs du silence ».
Le titre Ru est un jeu de mots franco-vietnamien. Un « ru » est le nom peu usité en français d’un petit ruisseau et « ru » veut dire « bercer » dans sa langue natale. Kim Thuy, exilée au Québec à l’âge de dix ans et internée en Malaisie avec sa famille pendant plusieurs mois, est devenue avocate puis linguiste et ce premier roman fut un best-seller en France et au Québec traduit dans vingt-cinq langues et qui fit sensation en 2010 dans l’émission littéraire « La grande librairie » de François Busnel. Ru c’est donc ce ruisseau de larmes qu’elle transforme en une berceuse qui la rattache à la terre de ses ancêtres.
Dans son deuxième roman autobiographique Mãn la poétesse raconte la vie d’une jeune fille vietnamienne arrivée au Québec et obligée par sa mère d’épouser un restaurateur vietnamien qui lui bat froid alors qu’elle est folle amoureuse d’un certain Luc. La jeune fille nommée Mãn renonce avec déchirement à son amour. Là encore la linguiste joue avec le sens de ce mot Mãn signifiant en vietnamien : « Celle qui ne désire rien ». On peut croire qu’elle est comblée, alors qu’en fait l’auteur nous apprend qu’au Vietnam il est impossible qu’une jeune femme exprime un désir propre.



Son troisième roman Vi narre le déracinement d’une jeune fille nommée Vi tiraillée entre Saigon (où Thuy est née en 1968) et Montréal. Elle tente une difficile construction personnelle loin de sa culture d’origine.
Les écrits de Kim Thuy peuvent dérouter car ils sont faits d’évocations, d’allusions et la structure narrative est volontairement en lambeaux à l’image de la vie psychique écartelée de l’auteur. Mais ses écrits ont valeur de devoir de mémoire et l’on y saisit le grand malaise et la douleur de tous les déracinés. Notons que la langue vietnamienne ne compte pas de temps dans les verbes c’est-à-dire que tout est à l’infinitif. Autant dire qu’il est facile d’oublier d’ajouter… demain, hier ou jamais.
Claude Lorin
Kim Thúy est une écrivaine québécoise d’origine vietnamienne. Elle est née pendant l’offensive du Têt. À 10 ans, sa famille et elle fuyaient le Vietnam cachés dans la cale d’un bateau, entassés les uns sur les autres. Après avoir vécu quatre mois en Malaisie dans un camp de réfugiés, ils se sont installés à Granby au Canada.

Elle a effectué un double cursus universitaire à l’Université de Montréal : diplômée en linguistique et traduction en 1990 et diplômée en droit en 1993. Elle a été traductrice, interprète, avocate, restauratrice (elle a tenu pendant 5 ans le restaurant Ru de Nam, à Côte-des-neiges), avant de se mettre à l’écriture.
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