Dossier extrait du magazine PERSPECTIVES france-Vietnam N°104 (mars 2018)
La francophonie au Vietnam dans un cadre plurilingue : impressions de voyage
Le Vietnam avait jusqu’à présent été pour moi un pays de connaissance indirecte : par les médias, par les liens de ma famille avec celle de Charles Fourniau, par mon engagement militant contre la guerre d’agression des États-Unis dans les années 1970, par la littérature, par les collègues et étudiants que j’ai rencontrés, par l’AAFV et sa revue. Mais jusqu’à cette année, l’occasion d’y séjourner ne s’était pas présentée. Elle s’est manifestée sous la forme d’une invitation au séminaire régional de recherche francophone Enseigner le / en français en contexte plurilingue, organisé à l’Université de langues et d’études vietnamiennes (VNU) par le CREFAP(1) en novembre 2017, juste après le sommet de l’APEC. Je vais dans ce qui suit faire brièvement part de mes premières impressions de voyage (même si j’ai conscience qu’elles ne sont pas originales) puis donner un aperçu synthétique du séminaire où, le monde étant décidément petit, j’ai rencontré Nicole et Raymond Trampoglieri
De la circulation en ville à la francophonie, quelques impressions
J’étais pour tout dire assez inquiet de la circulation routière puisqu’il est connu que Seymour Papert, un des très grands acteurs du développement de l’enseignement de l’informatique à l’école, a subi au Vietnam un accident qui l’a laissé très diminué.
De fait, le flot continu de véhicules dans les rues est impressionnant. Les motos peuvent venir d’absolument partout, plus ou moins silencieusement (certaines sont désormais électriques) et les feux de signalisation semblent avoir une valeur indicative (les deux roues peuvent tourner à droite ou à gauche quand le feu est rouge). Comment entrer dans le flux ?
francophonie / Francophonie
Le terme francophonie est apparu pour la première fois en 1880. C’est le géologue français Onésime Reclus (1837-1916) qui l’a employé pour désigner les espaces géographiques où la langue française était parlée. Il s’agissait alors des rapports entre la France et ses colonies. Depuis toujours existent deux termes relatifs à la francophonie : la francophonie, avec une minuscule, désigne un ensemble de peuples et de groupes de locuteurs qui utilisent partiellement ou entièrement la langue française dans leur vie quotidienne. Le terme Francophonie, avec une majuscule, désigne, lui, une institution : l’ensemble des gouvernements ou instances officielles qui ont en commun l’usage du français dans leurs travaux ou leurs échanges, des valeurs communes, des diversités culturelles, la paix, la consolidation des États et la protection de l’environnement, etc.
L’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) regroupe actuellement 84 États ou gouvernements, soit plus de 900 millions d’habitants (14 % de la population mondiale répartis sur les 5 continents). Elle représente 14 % du revenu brut mondial et 20 % des échanges mondiaux de marchandises et de services. La langue française est toujours une langue de communication. Le français reste la deuxième langue du monde au plan politique. Elle occupe des positions stratégiques privilégiées comme langue administrative, langue d’enseignement, langue de la justice, langue des médias, du commerce et des affaires. En dépit de son déclin, le français reste encore très important dans le monde actuel. Chaque année, dans le monde et au Vietnam en particulier, la Journée Internationale de la Francophonie est solennellement célébrée. Le Vietnam est entré dans l’OIF en 1970, l’année même de sa création, bien que sa langue officielle soit le vietnamien. Il fut à l’époque le 25e État membre. Conformément à sa politique d’ouverture active, sur la base du respect de l’indépendance, de la souveraineté nationale et pour la paix, le Vietnam est devenu un acteur important de la Francophonie. Il est aujourd’hui la porte d’entrée dans la Francophonie de l’Asie-Pacifique, région dont l’importance économique et géopolitique ne cesse de croître et où le Vietnam offre un ancrage précieux pour la francophonie, grâce à son dynamisme et à sa créativité. C’est en effet à Hanoi que sont implantés les bureaux régionaux de l’OIF et de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), l’opérateur universitaire, qui animent des programmes de développement de la francophonie dans toute cette région, y compris en Chine
A ma grande surprise, cela ne se passe pas si mal. Les conducteurs veillent : tant qu’on se déplace selon un mouvement rectiligne uniforme pas trop rapide, ils s’adaptent, anticipent et vous évitent généralement. Il s’agit d’un bel exemple d’auto-organisation, obéissant à des règles non écrites qu’il vaut mieux ne pas transgresser.
Deux autres surprises : d’abord le nombre incroyable de chantiers de constructions en cours, actifs tous les jours de la semaine ; ensuite le nombre important de lieux de cultes, en particulier des pagodes où des fidèles viennent porter des offrandes et prier, l’omniprésence des autels dans les hôtels et tous les signes d’un syncrétisme religieux bien intégré.
Un mot enfin sur la francophonie, puisque c’était la raison de mon déplacement. En ville, vis-à-vis des Occidentaux, l’anglais, désormais langue vivante étrangère dominante, s’impose. Le français, comme langue de communication, est en recul marqué. Cette impression doit cependant être nuancée : il existe encore un réseau d’écoles francophones bilingues bien cotées avec un peu moins d’un millier d’enseignants de français, souvent comme langue vivante 2. Le Vietnam reste très engagé dans la francophonie. Il s’est d’ailleurs tenu le 16 novembre une journée célébrant le 20 anniversaire du VIIe sommet de 1997 à Hanoï, qui a fondé la francophonie institutionnelle (2).
Désormais, le contexte est celui du plurilinguisme, avec une ouverture sur d’autres langues et cultures. C’était d’ailleurs le thème du séminaire auquel j’ai participé.
(1) Centre régional francophone d’Asie Pacifique de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF)
(2) https://www.lecourrier.vn/la-vitalite-de-la-fran-
cophonie-au-vietnam/449686.html
Un séminaire de recherche régional ouvert sur la pratique
Le CREFAP, centre rattaché à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) anime depuis 2000 des rencontres régulières d’enseignants de français de la zone Asie Pacifique, sur une base annuelle puis, depuis 2015, bisannuelle, en partenariat avec d’autres institutions. L’édition à laquelle j’ai participé, qui a durée trois jours, visait à
« promouvoir la dynamique de la recherche dans la région » et à « créer un espace d’échange entre chercheurs et enseignants du / en français ». Elle a rassemblé plus de 60 participants et participantes venant de l’ensemble de la (y compris le Vanuatu et la nouvelle Calédonie), ainsi que des invités venant de France métropolitaine et du Canada.

Je retiens de ces journées l’impression d’une grande vitalité de la réflexion didactique sur l’enseignement du français dans des contextes où les défis abondent. Les interventions ont été de grande qualité. Il est manifeste qu’il y a un réseau d’appui actif depuis longtemps, qui est le fruit des politiques engagées dans le passé, impulsées par l’OIF, les départements universitaires de français de la région, l’AUF, et l’Ambassade de France. Tous les signes d’une communauté en train de prendre son essor sont là.
Ce séminaire a permis d’avancer sur le partage de problématisations et de réflexions sur des pratiques dans au moins quatre domaines : la prise en compte du plurilinguisme dans l’enseignement du français ; le rôle des ressources numériques ; la formation des enseignants ; les formations professionnalisantes, qui sont en plein développement. Sur un autre plan, il a certainement contribué au renforcement d’une communauté ouverte de recherche. Cette dernière se déploie dans un contexte de perméabilité entre recherche et innovation, recherche et pratique, voire entre recherche et décision, ce qui appelle plutôt des approches exploratoires de type recherche – action, recherches – intervention, d’inspiration systémique.
Parmi les perspectives pour les années à venir, un objectif
important concerne la conception et la mise à disposition de ressources en
ligne libres (y compris par les élèves) et d’environnements informatisés, ainsi
que l’analyse de leur mise en œuvre dans un cadre scénarisé par les enseignants
(évolution des cours en ligne, émergences de modalités hybrides de formation…).
Un enjeu, dans ce contexte, est l’accompagnement coopératif à la publication
des jeunes chercheurs du domaine.
Georges-Louis Baron, professeur émérite des sciences de l’éducation
La francophonie à Dalat

A Dalat, l’apprentissage du français a pris place dans la foulée de l’apparition d’une coopération culturelle du Vietnam avec la France et la Francophonie en 1994. Dans les années suivantes, il y a eu à Dalat des classes
bilingues du primaire jusqu’au lycée avec enseignement de la langue, mais également d’autres matières en français. Des enseignants de français ont été formés à l’École pédagogique. Également, une Alliance française a été créée permettant aux habitants d’accéder à des ouvrages et de suivre des cours. À la suite à la crise économique de 2007- 2008, avec les coupures budgétaires, l’Alliance française a été fermée. Les classes bilingues ont perdu un apport financier et le nombre d’élèves décroit d’année en année. C’est dans ce contexte difficile et pour pallier ces lacunes que le centre Antenne a ouvert sa première classe en mai 2016 dans l’espoir d’inverser la tendance. Malgré des moyens limités, il a pu se faire connaître rapidement en recevant le soutien de diverses institutions, françaises, suisses, de la Francophonie notamment, et d’associations sous forme de matériel de communication ou de soutien pour l’organisation d’événements. C’est ainsi qu’en prenant de l’ampleur et de la notoriété, l’Antenne s’appelle désormais Centre francophone à Dalat.
NGUYEN DAC Nhu-Mai
Xin Chào, chào mung nhiêt liêt. Bonjour, Bienvenue. Une francophonie de terrain
Les nouveaux publics de la francophonie, une priorité pour le Comité Choisy le Roi et Val de Marne.
Dès sa création, en 2009, notre Comité Choisy-le-Roi et Val de Marne, conscient du recul du français au Vietnam, a fait du soutien à la francophonie une de ses priorités. En effet, pendant la période coloniale et jusqu’en 1975 au Sud-Vietnam, l’élite intellectuelle, politique, sociale était francophone. Ho Chi Minh, le général Giap, Mme Nguyen Thi Binh étaient francophones et considéraient le français comme une langue de culture, de combat, une langue des Droits de l’Homme ; ils avaient proposé Paris comme lieu des négociations avec les Américains. Mais, comme l’écrivait Pierre Journoud en 2016, « La mort du général Vo Nguyen Giap, en 2013, a semblé entériner la fin de la greffe francophone au Vietnam » et les jeunes lui préfèrent évidemment l’anglais.

Désormais, au Vietnam comme ailleurs dans le monde, le français ne peut se développer que dans un contexte plurilingue et selon des modalités à inventer.
C’est ce que nous allons illustrer à partir de notre expérience de terrain.
Les classes bilingues à Dong Da
Mises en place en 1994, les classes bilingues francophones ont connu un réel essor dans les années 90 ; même si depuis les effectifs ont chuté, elles continuent d’attirer de nombreux élèves.
La ville de Choisy-le-Roi étant jumelée avec Dong Da, un arrondissement de Hanoi, nous avons été accueillis en novembre 2010 à l’École Nam Thanh Cong, école à classes bilingues. Dans cette école de 3 000 élèves, 400 pratiquent le français. Leurs parents, le plus souvent aisés, ont fait ce choix du français pour la qualité des enseignantes et de l’enseignement dispensé. Les effectifs sont moins chargés (30 à 40 élèves par classe au lieu de 60), la pédagogie plus active, l’ouverture culturelle attractive. Nous avons vu à plusieurs reprises notre amie Phuong et ses collègues organiser des sorties, des activités extrascolaires et très vite nous avons organisé des échanges entre leur école et Choisy-le-Roi. Après un premier échange scolaire classique (11 enfants de Nam Thanh Cong accueillis à l’École Langevin de Choisy en juin 2011 – 11 enfants de Choisy accueillis à Dong Da en juillet 2012), nous avons monté un projet plus original et plus efficace, Les Loustics font de la Gymnastique Rythmique [1]. Fin novembre 2015, pendant nos vacances scolaires, 8 gymnastes de 15 à 20 ans, préparées et accompagnées par leur professeur et par nous, sont allées dans l’école de Dong Da faire faire du français et de la gymnastique rythmique à des élèves des classes bilingues. Elles ont permis aux enfants d’apprendre le français en action. Et le 17 juin 2016, Patricia Le Jean et ses élèves choisyennes ont présenté un spectacle sur la scène du Théâtre Paul Eluard de Choisy, Voyage lumineux au cœur de la rose des vents avec la participation des 14 élèves de Nam Thanh Cong qui séjournaient à Choisy.

Les élèves les plus motivés des classes bilingues
primaires, ceux qui projettent de venir faire des études supérieures en France
vont ensuite dans des collèges à classes bilingues et des lycées d’excellence
(Lycée d’application de l’Université Nationale de Hanoi, Lycée Hanoi
Amsterdam…). D’autres abandonnent le français au profit de l’anglais et il est
reconnu que l’apprentissage du français facilite l’accès à l’anglais.
Le département de langue et de culture française de l’Univeristé Nationale de Hanoï
Ce Département créé en 1962 est l’un des plus importants centres universitaires francophones du Vietnam. Il compte actuellement 45 professeurs et 500 étudiants, sans compter les étudiants d’autres disciplines qui viennent également étudier le français.
Nous travaillons avec ce Département depuis 2010 et nous avons pu voir les évolutions extrêmement rapides auxquelles l’Université doit faire face.
La vocation initiale du Département était de former des professeurs de français et des interprètes. Les premières années, nous avons encore rencontré des professeurs à la retraite qui adoraient les jeux de mots, récitaient des fables de La Fontaine… Maintenant plus de 90 % des étudiants qui arrivent dans ce Département sont débutants en français et espèrent travailler dans le secteur du tourisme.
Comme le rappelle notre ami Georges Louis Baron dans les conclusions du Colloque du CREFAP où nous nous sommes retrouvés, l’enjeu est désormais de mettre en place des formations professionnalisantes, d’intégrer les ressources numériques, d’adapter la formation des enseignants.
Notre Comité contribue fort modestement à ces évolutions avec l’organisation de Concours de productions étudiantes depuis 2014 et l’accueil en France de jeunes professeurs depuis 2015.
Le but de nos Concours est de faire connaître le Vietnam aux étudiants vietnamiens et à nos amis français, de favoriser la créativité et le travail en équipe des étudiants, de contribuer à leur professionnalisation. Après les Concours Visions du Vietnam, nous avons proposé en 2016, puis 2017, un Concours Visions de Yen Bai.
Les œuvres primées des étudiants (textes illustrés, diaporamas, vidéos) ont été valorisées dans diverses manifestations et éditées.

Avec l’Association Préfasse (Pour le Rayonnement et l’Enseignement du Français en Asie du Sud-Est) implantée à Grenoble, nous accueillons chaque année une jeune professeure de français qui vient d’être recrutée par le Département et qui n’est jamais venue en France. L’objectif du séjour en France est de lui permettre de progresser dans la maîtrise de la langue française et la connaissance de notre culture, de partager nos façons de vivre et de compléter sa formation au métier d’enseignante de Français Langue Etrangère au CUEF (Centre Universitaire d’Etudes Françaises) de Grenoble
Développement du tourisme communautaire et initiation au français dans la province de Yen Baï
« Bonjour, Bienvenue », c’est avec ces mots que des habitants des villages de Nghia Lo et Mu Cang Chai étaient heureux de nous accueillir. Ils les avaient appris récemment grâce à Marjorie, une VSI (Volontaire Service International) travaillant dans le cadre de la coopération entre le Département du Val de Marne et la Province de Yen Bai.
L’objectif, dans cette province non francophone, est de contribuer au développement du tourisme communautaire, et en particulier à l’accueil de touristes français.
Le Conseil Départemental du Val de Marne, connaissant notre expertise en matière de francophonie, nous a confié la mission de préparer et de suivre Marjorie. Nous avons pu ainsi sur le terrain en novembre dernier constater l’efficacité de son travail et lui apporter un peu de renfort : deux étudiantes bénévoles du Département de Français sont allées la rejoindre pendant le week-end des 20 et 21 janvier 2018.
« C’est dans une ambiance joyeuse que les deux étudiantes ont fait réviser les enfants de Mu Cang Chai durant deux séances.

Le dimanche nous avons organisé une après-midi jeux de société qui a très bien marché puisque presque 30 enfants ont participé. Ils se sont bien amusés et les étudiantes Dinh et Riệu m’ont bien aidée à divertir et canaliser tous ces enfants !
Je suis donc ravie de ce premier travail avec l’Université, les filles, qui souhaitent devenir enseignantes, ont réalisé un travail de qualité et étaient enchantées et motivées. »
Et six nouvelles étudiantes désignées par le Département sont attendues.
En conclusion, une Association comme la nôtre ne peut se substituer aux décideurs et aux acteurs vietnamiens en charge des réformes institutionnelles et pédagogiques. Mais par nos actions nous pouvons motiver, inspirer, renforcer des initiatives, et partager avec nos amis le plaisir d’agir pour une francophonie revisitée.
Nicole Duchet Trampoglierie, présidente AAFV94 comité Choisy le Roi – Val de Marne
[1] Les Loustics : méthode d’apprentissage du FLE (Français Langue Etrangère) développée par Hachette
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